Le leadership à l’ère du digital,

de multiples enjeux.

Que l’émergence du digital exerce une action disruptive sur nos codes établis, cela ne fait aucun doute. Cette nouvelle organisation du Monde requiert un changement profond de comportement de ses acteurs, individus comme organisations. Mes discussions fréquentes avec des dirigeants d’organisations, grandes ou petites, comme mes recherches, laissent à penser que la création du prochain Uber ou Spotify va clairement changer la vie de tout un chacun, mais que là n’est pas l’enjeu. Pour la plupart d’entre nous, permettre le changement doit être un processus continu de petits changements comportementaux qui, cumulativement, sur une période de temps, vont établir de véritables changements dans nos organisations. Le leadership à l’ère du numérique exige des managers et de l’encadrement au sens large qu’ils effectuent eux-mêmes une série de petits changements.

Que signifie « digital » ? Pour moi, c’est accepter que le monde dans lequel nous vivons est résolument global, rapide, complexe, connecté, viral et en constante évolution, et que tout produit ou service doit être en mesure de faire face à ces paramètres.

Pour réussir dans cet environnement nouveau, cinq compétences essentielles sont, à mon avis, requises, et de façon simultanée.

Deux points d’ancrage vitaux : « eco-friendliness » et « agilité »

« ECO-friendly », en opposition à « EGO-friendly », c’est respecter son environnement, les autres, mais aussi soi-même. C’est mesurer la responsabilité sociétale et environnementale de ses actes. A l’heure où nous prenons conscience collectivement que les « re-sources » (naturelles, énergétiques, humaines, etc.) peuvent littéralement s’épuiser, le leader se doit de prendre soin de ses « sources » (eau, énergies, outils de production, collaborateurs, lui-même). Le leader est femme-homme ressource pour ses équipes ; cela requiert beaucoup d’énergie. Le ressourcement du leader est donc essentiel. Mieux prendre soin de soi et de son environnement pour mieux donner et partager (et non entrer dans une spirale mortifère de sur-exploitation de son environnement, des autres et de soi-même). Le remède ? C’est ce que j’appelle « les petits secrets du leader digital » : ne pas s’isoler, être en contact avec la terre, se balader en forêt, se retirer régulièrement de l’environnement de travail, parfois nocif ou pervers, en tous cas source de stress, pour « se débarrasser » du bruit de fond du quotidien des affaires, stopper le rythme infernal de l’action (« hands on, brain off » disent les britanniques), prendre RDV avec soi même régulièrement pour faire le point : où en suis-je ? Le risque du monde digital, c’est d’aller deux fois plus vite pour vivre deux fois moins bien ; le piège majeur en est le « always on » qui favorise les comportements dépressifs ; selon l’OMS, la dépression est maintenant devenue la deuxième cause d’invalidité dans le monde, devant les troubles cardiovasculaires ; un quart des Européens souffrent de dépression ou d’anxiété. Etre exemplaire, aussi dans la gestion de mes énergies, de toutes mes énergies…

Agilité, en opposition à rigidité. On peut être ferme sur ses principes de vie, mais souple dans la façon dont on réagit face à l’adversité. Dans un monde où tout va si vite, agilité va de paire avec humilité : reconnaître que je ne sais pas tout, que ce qui a fait mon succès hier peut faire mon échec demain car le contexte a changé, que je dois aussi me remettre en cause en permanence, rester informé sur les nouvelles technologies (Big Data, Impression 3D, Cloud, Intelligence Artificielle, etc.) et voir en quoi elles peuvent améliorer mon activité, valoriser les informations (« data is gold! »). Hier, douter était une tare, c’est aujourd’hui une vertu dans le monde digital. Les arts martiaux peuvent être une source d’inspiration en la matière : il ne s’agit pas d’anticiper d’où vient le coup, mais de préparer un corps à la fois robuste et souple qui soit capable d’encaisser et de s’adapter de façon appropriée à la situation donnée. Un Directeur d’un grand groupe industriel me disait récemment que la première compétence qu’il recherchait avant tout chez un ingénieur aujourd’hui était la « créativité » ; ainsi, face à la complexité actuelle, un raisonnement logique ne suffit plus. Autre exemple : un de mes clients déménage ses services (par exemple, le marketing prend la place de la finance, et vice versa) tous les deux ans pour préserver cet esprit d’agilité ; peut-être un peu extrême, mais l’idée est intéressante…

Deux enjeux majeurs : exigence et bienveillance

L’exigence, en opposition à laxisme, c’est avoir le goût de l’effort et savoir le transmettre, savoir fixer son attention sur le but à atteindre, faire preuve de discipline envers autrui et envers soi même, rechercher la simplicité dans ce monde complexe sans tomber dans la facilité, savoir faire preuve de résilience face aux changements permanents, savoir surmonter les obstacles et toujours apprendre de ses erreurs pour éviter qu’elles ne se renouvellent. Comment maintenir un haut niveau d’exigence ? Avoir quelques indicateurs de performance, simples, et des règles de vie, et les suivre vraiment dans le temps. Les Dirigeants que j’accompagne me disent parfois : « Oh, malheureux, ça fait dix ans qu’on me dit la même chose ! ». Ce à quoi je réponds : « Est-ce un point important que vous souhaitez changer en vous ou non ? Si non, oubliez-le vite (et chouette, une préoccupation de moins !). Si oui, que faites-vous aujourd’hui pour changer ? Que mettez-vous en place ? Quels premiers petits pas pour y arriver ? Qui peut vous y aider ? Comment allez-vous savoir que vous avez réussi ? Dans quel état d’esprit serez-vous quand vous aurez réussi ? Quels bénéfices pour vous et pour votre entourage ? Comment allez-vous fêter ce changement ?». Exigence va de paire avec pérennité : celle de votre organisation, et également la vôtre !

La bienveillance, en opposition à malveillance, consiste à se rappeler que nous travaillons avec des êtres humains, faits de chair et de sang, avec leur capacité de travail, mais aussi leurs fragilités, leurs interrogations, leur vision du monde, leurs émotions, leurs joies et peines associées. Etre bienveillant, c’est promouvoir confiance, respect et bien être, c’est savoir regarder la princesse et le prince qui sommeille en chacun de nous, soi y compris, c’est changer de regard, c’est accepter l’échec comme source d’apprentissage, c’est écouter vraiment, être vraiment présent. Les Millenials ne veulent plus d’environnements hyper compétitifs et ils partiront s’ils ne peuvent avoir une vie professionnelle équilibrée avec leur vie personnelle. Ils valorisent davantage que les générations précédentes l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Ils ont vu leurs parents s’user à l’ouvrage avec en plus si peu de témoignages de reconnaissance… A quoi bon… La plupart d’entre eux ne veulent pas de cette vie là, et, connectés, ils communiquent entre eux et constituent un contre pouvoir, qui est en passe de devenir un vrai pouvoir.

Une nécessité : la co-vision

« Co-visionnaire », en opposition à « myope solitaire ». Pressentir de quoi demain sera fait, être curieux et à l’écoute des nouvelles tendances, non pas pour les suivre aveuglément, mais pour les intégrer comme des signaux d’évolution, élargir et diversifier son réseau, se confronter à des environnements différents pour ouvrir le champ des possibles et favoriser l’innovation, être capable d’offrir une expérience mémorable à vos clients. Quoi faire si vous n’êtes pas un visionnaire né ? Passer une journée avec votre équipe au vert pour co-construire une vision partagée, mettre en lumière les joyaux qui sommeillent, identifier les points douloureux et accepter de changer les façons de coopérer ; ainsi, chacun se sentira davantage impliqué car il aura contribué à la vision commune.

Sous-jacent à cette évolution permanente, il y a le véritable « virage culturel » que les « Millenials » du monde entier, connectés entre eux, apportent avec eux. Pour qu’une organisation optimise ses opportunités, elle doit attirer des personnes talentueuses – et ces personnes sont très demandées ; la clé de la rétention des talents est justement la « culture » d’entreprise. La génération du millénaire, ou « Millenials », a perdu sa loyauté à l’entreprise ; plus aucun d’entre eux ne rêve de travailler pour une seule organisation tout au long de la vie. Les meilleurs et les plus brillants d’entre eux voient la vie comme une « succession d’expériences » qui peuvent les épanouir à la fois professionnellement et personnellement. Cela signifie que travailler 12-15 heures par jour, avec des indicateurs financiers bien ciselés mais sans aucune signification ni aucun sens sociétal pour eux n’attire plus les talents (si tant est qu’un indicateur financier n’ait jamais mobilisé quiconque !). J’ai vu des jeunes vraiment talentueux à New York, Paris, Dubaï et Shanghai, quitter leur entreprise faute de « sens » ; c’est la nouvelle mentalité. Les vrais talents connaissent leur valeur, et savent qu’ils trouveront un nouvel employeur ou une nouvelle « expérience », comme prendre part à l’aventure entrepreneuriale. Beaucoup de grandes entreprises ont baissé leur niveau d’exigence en matière de recrutement pour continuer à embaucher, car elles ne sont plus assez attractives ; les jeunes talents ont tellement d’autres opportunités qui s’ouvrent à eux, bien davantage qu’il y a 10 ou 15 ans… En clair, le héros n’est plus l’individu, c’est l’équipe, car l’important est moins la solution que la contribution.

Savoir, Faire, Etre… Les clefs d’un processus de perfectionnement

Le leadership s’apprend, c’est ma conviction. Certes, comme pour le piano ou la natation, certains sont plus doués que d’autres. La base en est une bonne conscience de soi, avec la connaissance de ses points forts et d’efforts. M’acceptant davantage, je serai plus à même d’accepter autrui et d’entrer dans l’ère digitale, sans en être prisonnier, mais en tirant bénéfices des opportunités qu’elle ouvre. Pour cela, je vois trois étapes itératives : d’abord savoir, apprendre, toujours et encore, avoir faim de connaissance, contribuer à une planète plus éduquée ; l’éducation est l’enjeu du XXIe siècle, disait Nelson Mandela. Ensuite faire, parce que si je sais et que je ne fais pas, je perds mon temps ; c’est associer conscience et responsabilité. C’est enfin être. C’est incarner qui je suis vraiment, non pas comme un enfant libre, mais dans une relation d’interdépendance. La mobilisation et l’inspiration, c’est avant tout affaire de façon d’être, de rire, d’entrer en relation. La nouvelle génération, numérique et connectée, ne comprend pas que vous fassiez l’opposé de ce que vous dites ; elle a avant tout besoin d’exemplarité, d’alignement et surtout de sens. Elle n’hésitera pas à partir pour d’autres horizons si elle ne trouve pas son compte chez vous.

Ce sont toutes ces petites choses à réaliser. Elles ne nécessitent pas de rupture radicale, mais peuvent être provoquées par de petits changements. Alors, quels sont les petits changements que vous êtes prêts à initier pour contribuer à transformer la culture de votre organisation ?

Article écrit par

Marc Beretta

Directeur Académique à HEC Paris

Il dirige le cabinet international de coaching Inis alga (www.inisalga.om). Il est certifié Master Coach (MCC) par la Fédération Internationale de Coaching (ICF) et est superviseur de coachs professionnels. Il est membre du corps professoral de TRIUM (New York University – London School of Economics – HEC Paris) Global Executive MBA et du programme 100% en ligne HEC-Coursera Master of Science in Innovation & Entrepreneurship (MSIE). Il est Directeur Académique à HEC Paris où il intervient dans les programmes Dirigeants depuis 2009 sur les thèmes du Leadership et du Développement Personnel. Diplômé de l’ESCP, il a été formé à la psychologie (Analyse Transactionnelle). mberetta@inisalga.com

Il croit que de petits changements peuvent faire une grande différence.

Article apparu sur le site
Les Echos Solutions,
le 31 mai 2018, mis à jour le 5 juin 2018

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Inis alga signifie île noble en celte :

Sachons d’où nous venons pour savoir où nous allons,

et prenons soin de nous comme d’une île précieuse pour nous épanouir !

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